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AVR
2025

Érotisme et pornographie au XVIIIe siècle

La fourchette des textes érotiques ou carrément pornographiques du XVIIIe siècle est large. Allant de simples ébats érotiques dans la tradition du rococo (1715-1780) à des textes très explicites, voir obscènes, ce genre est d'abord exclusivement réservé aux hommes de la classe supérieure

Si au début du siècle, on trouve surtout des comédies galantes, s'y ajoutent plus tard des romans à clé, souvent motivés par des raisons politiques, sur les escapades sexuelles du roi, des aristocrates et des prêtres. A la mort de Louis XIV en 1715, les mœurs se libèrent après une fin de règne austère. Des idées nouvelles concernant l'individualité, la liberté et la conscience émergent. La rationalité des Lumières s'oppose à la mystification chrétienne. La vie doit être vécue pour elle-même, et non dans le rachat envers Dieu après la mort. 

Les contestations philosophiques et scientifiques se reflètent dans les romans libertins, dits également « livres licencieux » ou « livres philosophiques » où les personnages rompent les règles guidés par la recherche du plaisir.

Le théologien Jean-Baptiste Massillon (1663-1742) différencie « deux sortes de livres dangereux : les livres frivoles et les livres lascifs ; les uns dissipent l’esprit, affoiblissent en nous la vie de la grace, et nous disposent à l’oubli de Dieu ; les autres corrompent le cœur et conduisent l’homme à incrédulité. »

On comprend ainsi pourquoi les représentants de l'Église se sont sentis bien plus attaqués par la littérature libertine que par le libertinage lui-même car elle éloigne l'homme de Dieu en lui promettant l'accomplissements de son désir physique dans son existence terrestre.

Les bijoux du petit neveu de l'Arétin, ou étrennes libertines

Arétin - Synonyme de pornographe depuis cinq siècles

Synonyme de pornographe, le nom et l'œuvre de Pierre l'Arétin attire les amateurs de la littérature libertine depuis bien cinq siècles. 

Derrière ce pseudonyme se cache l'écrivain, poète, satiriste et polémiste Pietro Bacci, né en 1492 à Arezzo (Toscane) qui prend le nom Aretino (Arétin en français) signifiant « venant d’Arezzo ». Ses pamphlets satiriques sur la Curie romaine, les princes et les grands de la politique, ses pièces de théâtre, ses livres et ses poèmes influencent fortement le Cinquecento.

Sans avoir reçu une bonne éducation scolaire, Aretino incarne le type même de l'ascension sociale indépendante, qui réussit par son esprit, son audace et ses performances intellectuelles dans une société courtoise.

L'œuvre la plus connue de Pierre l'Arétin, Ragionamenti (1534-36) décrit en termes francs le monde de la vie féminine dans l'Italie de la Renaissance et fut considéré jusqu'au XVIIIe siècle comme l'incarnation de la littérature libertine. Seuls les romans libertins du XVIIIe siècle, comme « Thérèse philosophe » (1748) ont dépassé le texte délibérément scandaleux.

En 1559, trois ans après sa mort, le pape Paul IV met l'ensemble des œuvres de Pierre l'Arétin sur l'Index des livres interdits (Index librorum prohibitorum). 
 

Langage explicite & gravures détaillées et soignées

Condamnés, interdits et poursuivis, la plupart des livres érotiques sont d'abord sans illustrations, la langue étant suffisamment précise pour se passer d'image. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'illustration fait cause commune avec le texte. 

Inspiré par les courants anticléricaux et monarchistes de la Révolution française, Les bijoux du petit neveu de l'Arétin, ou étrennes libertines est un recueil anonyme de chansons érotiques, de contes, de poèmes et de nouvelles, paru - selon la page de titre - en 1791. Les gravures sur cuivre sont particulièrement détaillées et soigneusement exécutées

Tandis que de nombreuses œuvres érotiques sont écrites dans un langage employant des mots et des expressions qui n'ont aucun sens pour les non-initiés pour décrire les actes sexuelles, la langue de ce petit livre est très explicite. « Ce fouteur vigoureux lance de ses couillons / Le foutre qui jaillit en fort épais bouillon / Regardez les jarrets souples & dégagés / Et les voyant enfin, songez à décharger. » (Leçon de fouterie). 

La présentation des aristocrates, des prêtres, des moines, des religieuses, etc. transgressant un comportement sexuel normal éveille la méfiance et diminue la différence sociale. Les Bijoux du petit neveu de l'Arétin, ou étrennes libertines sont ainsi dédie « Aux femmes ci-devant de qualité, & sensibles, s'il s'en trouve ; Aux honnêtes Représentants de la Nation, dont le nombre est limité ; Aux chastes Ecclésiastiques, dont l'âge cède au plaisir ; Enfin, aux Sectateurs voluptueux des plaisirs de l'Amour, & par-tout il s'en trouve. ». Une scène dépeint le Père Duchesne - personnage populaire du théâtre qui incarne l'homme du peuple avec son langage grossier et ses manières rudes, et dans lequel les petits bourgeois et les ouvriers se reconnaissaient - sur le dos d'une mule lors d'un acte sexuel avec une paysanne (p. 28).

A part son caractère vulgaire-érotique, le livre s'inscrit dans la lignée des ouvrages compromettant les puissant(e)s, mais aussi en fustigeant l'influence des femmes à la cour de France. L'« Epitaphe de la Dubarry » par exemple, intrigue car il anticipe l'exécution de la maîtresse royale en décembre 1793 : « D'un Roi sensible elle fit un Roi odieux. Que n'est-elle périe en prenant, la naissance ! » (p. 18). Le sous-titre Morte à la fin de Novembre 1790 fait certainement référence au « Discours aux infortunés » de Jean-Paul Marat publié dans son journal L'Ami du peuple le 11 novembre 1790 (n° 277) contre la favorite du roi Louis XV qu'il nommait « la catin royale ».

Étrennes aux fouteurs ou Calendrier des trois sexes

Marie-Antoinette, cible préférée d'ouvrages érotico-obscènes

Selon l'historien américain Robert Darnton (*1939), le roman libertin à motivation politique a contribué à provoquer la révolution en sapant la légitimité de l'Ancien régime en tant que système social et politique. Lorsque la Révolution française éclate en 1789, les écrits immoraux passe au premier plan de la nouvelle politique populaire sous la forme d'attaques vicieuses contre les principaux courtisan(e)s (parmi lesquelles figurent de nombreuses femmes de l'aristocratie) et en particulier contre la reine Marie-Antoinette. Ce type de libelles reflètent des angoisses autour des hommes faibles et des femmes au pouvoir.  

Dès le début du règne de Louis XVI en 1774, des pamphlets d'un ton léger et badin se moquent du roi pour son impuissance supposée. Très vite, Marie-Antoinette ayant plus d'esprit et présence que son époux et méprisée pour ses origines autrichiennes devient la cible favorite. Même si les attaques sexuelles contre des membres de la famille royale remontent à Catherine de Médicis, celles contre Marie-Antoinette sont particulièrement violentes

Dans les années 1790, avec la libération de la presse, le caractère obscène des ouvrages à motivation politique atteint son apogée en termes de quantité et de violence en France, alors que le nombre de leurs pages diminue. Attirant un public plus large que jamais, ils deviennent une vraie arme politique consciemment vulgaire. 

Les Étrennes aux fouteurs, ou Calendrier des trois sexes, dont l'édition originale est publiée en 1790, est un recueil de contes en vers, de parodies et de chansons, dont l’inceste fournit beaucoup de matière. Par sa préface, il fait partie des ouvrages dressés contre la souveraine (et l’Étranger et le Tiers-État) : « Depuis qu'une Autrichienne en ru, / A tout venant montre le cu ; / Depuis qu'on plaça l'optimisme / Dans l'ovale humide et charnu / Qui produit notre mécanisme ; / Depuis que le vit potentat / Du fier et fougueux despotisme / Voulut foutre le Tiers État, / Et de son foutre scélérat / Inonder le patriotisme... »

L'une des chansons coquines sur un air populaire, intitulée « Réponse anticonstitutionnelle de l’abbé M » est une charge contre l’abbé Maury, fervent adversaire de la Révolution. 

Cette première partie est suivie par les pièces de François-Félix Nogaret (1740-1831) qui se trouvent dans Les Épices de Vénus ou Pièces diverses du même auteur académicien, publié en 1787, comme Le Provincial à Paris ; Le Chauffage Économique ; Le Con et le Vit, dialogue ; etc., et dont l' « Imitation de l'ode d'Horace, In Anum libidinosam. » peut également être lue contre Marie-Antoinette, détestée. En revanche, sa pièce « La ressource du clergé » attaque l'Église catholique suggérant par le texte et l'image (l'édition originale est enrichie d'un frontispice et de trois gravures dont une porte ce même titre) comment les clercs trouvent satisfaction, maintenant qu'ils ne peuvent plus séduire les femmes. 

Le petit volume se termine par : « La Doctrine amoureuse, où sont enseignés les principaux mystères de l’amour, et le devoir d’un véritable amant », une sorte de catéchisme érotique, en prose.

 

Les Étrennes aux fouteurs connaissent plusieurs éditions

Le 19 juillet 1791, le Décret relatif à l'organisation d'une police municipale et correctionnelle entre en vigueur recouvrant entre autres les « délits contre les bonnes mœurs », précisément énumérés : l’outrage à la pudeur des femmes, les actions déshonnêtes, l’exposition ou la vente d’images obscènes, la débauche ou la corruption des jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe. 

Au fur et à mesure que le gouvernement de la Terreur gagne en puissance (1793-1794), le marché du livre licencieux à motivation politique se tarit pour faire place aux romances érotiques avec lesquelles les écrivains ne risquent pas leur tête. 

Le Consulat sous Napoléon Bonaparte (1799-1804) rend la Révolution française responsable de la propagation du péché et rétablit la censure. Le contrôle de la presse et des éditeurs devient plus strict alors que l'épouse de Napoléon, Joséphine, devient l'une des nouvelles cibles. Les recherches pour confisquer la littérature immorale s'intensifient. Bien que leurs succès restent sporadiques, ce type de livre disparaît peu à peu puisque le Code Napoléon, subtilement floue, permet aux juges de condamner les auteurs et imprimeurs à de lourdes peines de prison

En 1833, le Thesaurus eroticus linguae latinaæ, un répertoire des ouvrages érotiques publiés sous l'Empire romain (27 avant J.-C. - 476) attire la curiosité des lecteurs. Le mot curiosa fait son apparition pour qualifier par euphémisme ce genre de littérature. [

Sous le Second Empire (1852-1870) le contrôle de la presse se durcit davantage et les livres obscènes sont interdits, confisqués et détruits. Les libraires-éditeurs spécialisés dans leur (ré-)impression sont poussés vers la clandestinité. Les éditions originales datant d'avant 1880 sont rares

Dès 1880 le trafic des ouvrages érotiques s'intensifient, au point que des congrès internationaux s'organisent pour en limiter la production. 

Très demandé à l'époque révolutionnaire, les Étrennes aux fouteurs connaissent plusieurs éditions entre 1790 et 1796, avec un nombre variable d'illustrations détachées. Il n'est pas étonnant de les voir réimprimées sous le manteau d'une Société des Bibliophiles Aphrodiphiles de Bâle, entre 1880 et 1920 connue pour la réédition clandestine en français des recueils d'obscénités parus sous la Révolution

Des aquarelles sans fard

Notre exemplaire de cette réédition non-datée (fin XIXe) est décoré de dessins originaux à la plume aquarellés non-signés sur la page de titre et dans les marges. 

Ces dessins n'échappent pas à la tradition fin du XIXe siècle où les illustrateurs - comme les auteurs qui se concentrent sur le plaisir et les actes sexuels - s'appliquent sans fard sur les organes génitaux, les deux avec pour seul objectif de susciter le désir sexuel chez le lecteur. 

 

 

 

Photos : Les Étrennes aux fouteurs, ou Calendrier des trois sexes (Société des Bibliophiles Aphrodiphiles de Bâle, s.d.)

 

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Photos : LIBRAIRIE de l'ESCURIAL. Freepik.

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