Le mouvement CoBrA est fondé en novembre 1948 par les poètes Christian Dotremont et Joseph Noiret et par les peintres Asger Jorn, Karel Appel, Corneille et Constant.
Le nom est l’acronyme de Copenhague, Bruxelles, Amsterdam, tiré des villes de résidence des fondateurs, nom que Dotremont n’appréciait guère, n’étant selon lui qu’une sorte d’épigone de Bénélux.
Périodiquement d’autres artistes comme les peintres Carl-Henning Pedersen et Else Alfelt, le sculpteur Shinkichi Tajiri, le photographe Serge Vandercam ou encore les poètes Édouard Jaguer et Lucebert rejoindront le mouvement.
En mars 1949, le groupe publie le premier numéro de sa revue artistique. Initialement onze numéros sont préparés, mais il n'en paraissent que huit.
Chaque issue traite une manifestation concrète, souvent en mettant en question diverse aspects de l'art, mais on y trouve aussi des reproductions afin de se faire une idée de l'art expérimental et des poèmes des membre ou proches du mouvement.
Les exemplaires de la revue CoBrA sont peu courants, le tirage sans être confidentiels n’était pas très important, le nombre d’abonnés n'excédant pas vingt et un d’après Pierre Alechinsky, et encore c’était en comptant sa mère et sa tante.
Le serpent qu'ils adoptent comme nom décrit parfaitement le caractère combatif et ardent du mouvement. Les membres revendiquent un art plus authentique où les œuvres, inspirés par Joan Miró (1893-1983), Paul Klee (1879-1940) et les arts primitifs, naissent d'un acte créateur mêlant naïf et expérimental. Ils s'affranchissent de la tutelle pesante du Surréalisme, mouvement artistique majeur dont l'épicentre est Paris, pour privilégier la spontanéité, le travail collectif, rejeter toute forme de « théorie stérile et dogmatique » et toute spécialisation. Les peintres écrivent, les musiciens dessinent, les écrivains réalisent des films…
Sitôt le mouvement crée, le poète belge Christian Dotremont (1922-1979) et le peintre danois Asger Jorn (1914-1973) se mettent au travail pour concrétiser les projets et mettre sur pied une revue artistique internationale. La publication dont Dotremont devient le rédacteur en chef reçoit également le nom CoBrA. Pour Jorn, c'est enfin l'occasion d'exposer les idéaux qu'il porte en lui depuis longtemps. Le français, déjà employée par le groupe malgré son fort caractère nordique, est choisi comme la langue rédactionnelle ce qui permet au mouvement de se faire connaitre plus facilement sur le plan international.
Libérer la voie de l'expression (n° 1 + 2)
Les deux premiers numéros sont publiés simultanément en mars 1949, le premier à Copenhague et le deuxième à Bruxelles. Dans le premier numéro, Jorn fournit un « Discours aux pingouins » qui attaque le surréalisme défini par André Breton (1896-1966) et résume les objectifs de CoBrA : « Le but de l'art est avant tout moral et subséquemment esthétique. »
Le deuxième, quant à lui, est dédié au « matérialisme » des artistes CoBrA, influencés notamment par les idées de Karl Marx (1818-1883). Selon eux, la source d'inspiration créatrice doit d'abord être le matériau que l'artiste a entre les mains. Ainsi, ce n'est pas seulement l'imagination de l'artiste qui influence le résultat. En stimulant son imagination, le matériau joue un rôle essentiel. Quant à l'outil, lui aussi suggère des possibilités de l'usage à l'artiste. Le peintre néerlandais Constant (1920-2005) déclare : « ...nous ne trouvons que dans la matière la source réelle de l'art, nous sommes peintres, et le matérialisme est d'abord, pour nous, sensation : sensation du monde et sensation de la couleur. »
Le monde du cinéma (n° 3)
Le contenu du numéro 3 est radicalement différent. Il sort en juin 1949 à Bruxelles et se consacre entièrement au film expérimental dont le festival est organisé par la Cinémathèque royale de Belgique du 25 juin au 8 juillet 1949 à Knokke-le-Zoute. Dans ce numéro, on trouve des articles sur des films et cinéastes connus ainsi que des réflexions théoriques à l'égard de divers aspects du cinéma et sur l'univers du film expérimental en Belgique.
Faute d'implication dans ce monde, Dotremont donne carte blanche aux cinéastes belges, Jean Raine et Luc de Heusch (qui signait alors Luc Zangrie), véritables sympathisants du mouvement. Le réalisateur belge Jean Cleinge (1919-2002) explique dans la préface sa conception de l'expérience au cinéma, qui est proche de celle du mouvement CoBrA : « Le moindre mot est un poème ; le moindre trait, un dessin ; une couleur étendue, un tableau ; un son, musique ; geste, danse. Et chaque passant que l'on rencontre est un Personnage. Il suffit de voir et d'entendre... »
Par l'intermédiaire de Jean Raine (1927-1986), Dotremont entre en contact avec le peintre Pierre Alechinsky (*1927) qui signe la couverture.
La première grande Exposition internationale d'art expérimental (n° 4)
Amsterdam, ville à l’esprit ouvert, est le théâtre de la toute première manifestation publique du groupe CoBrA. En novembre 1949, rassemblant les jeunes talents prometteurs, le directeur du Musée Stedelijk, Willem Sandberg, organise l'exposition « International Experimental Art » ce dont le numéro 4 devient le catalogue.
Sur sa couverture, une bouche largement ouverte tire la langue au lecteur. Les artistes, Constant en tête, expriment clairement leur révolte contre les normes bourgeoises et l’esthétique rigide de l’époque. « Créer, c'est toujours faire ce qui n'était pas encore connu, et l'inconnu fait peur à ceux qui croient avoir quelques chose à garder. Mais nous qui n'avons rien à perdre que nos chaînes, nous pouvons bien tenter l'aventure. »
Outre le catalogue, on y découvre des reproductions de dessins et poèmes d'enfants mêlés à ceux des artistes CoBrA.
Quant à l'exposition, la réunion hétéroclite s’avère l'événement majeur de la brève existence du mouvement. Le peintre Anton Rooskens (1906-1976), membre du Groupe expérimental au Pays-Bas, se souvient que « le vernissage de l'exposition fut particulièrement animé. Après la brève allocution de Constant, les gens se ruèrent dans les salles au son d'un grand tambour de jungle. Ce fut une énorme hilarité et j'ai eu l'impression que la plupart des gens pensaient que c'étaient une grosse farce. » Le dernier jour tourne au pugilat général assurant scandale et célébrité autour du mouvement CoBrA.
L'avènement de l'art populaire (n° 5)
Édité par le peintre allemand Karl Otto Götz (1914-2017), le numéro 5 contient des textes, des poèmes et des reproductions de tableaux, dessins et sculptures qui permettent de se faire une idée de l'art expérimental. Bloqué en Allemagne, il ne parait que fin 1950.
Asger Jorn explique la démarche pour libérer l'expression spontanée : « L'art populaire ne signifie pas ... faire un art qui plait au peuple, mais bien plutôt, faire s'épanouir cet art qui naît du peuple lui-même. La seule manière démocratique et orientée vers le peuple d'appréhender l'art est de faire d'un peuple de spectateur un peuple d'acteur. »
La fustigation du formalisme (n° 6)
L'art populaire (à l'opposé de l'art de la société de classe capitaliste) est le thème principal du numéro 6 qui paraît à Bruxelles en avril 1950. Dotremont affirme la proximité du mouvement au peuple et à l'art populaire et fustige le formalisme. Il en distingue trois catégories : le naturalisme, le surréalisme à la Magritte & Dali et l'art abstrait réduisant « la réalité à une panoplie, ... la vie intérieure à ce que loin d'être sa structure est le coffrage que la raison voudrait lui imposer. »
La singulière relation entre l'écriture et la peinture (n° 7)
Ce numéro, paru à Bruxelles à l'automne 1950, témoigne de l'intérêt des artistes CoBrA pour les symboles magiques, la mythologie et pour l'écriture. Le photographe et graveur Raoul Ubac (1910-1985) s'inspire de l'écriture runique lorsqu'il choisit la tête d'un cobra à lunettes pour la couverture.
Le numéro peut être vu comme un exemple de la singulière relation entre l'écriture et la peinture, où comme Dotremont explique « Cobra a trois stades, comme en même temps, que j’ai appelés le spécialisme (par exemple, le peintre peint), l’interspécialisme (le peintre et l’écrivain peignent une peinture-mot sans préalable) et l’antispécialisme (le peintre écrit). »
Un numéro double qui se veut plus littéraire (n° 8 + 9)
Suite au refus de Jorn et Constant qui ne veulent plus collaborer avec Dotremont, ce dernier s'appuie sur le jeune poète danois Uffe Harder (1930-2002). Manque d'argent, ce double numéro français-danois ne dépasse pas le stade des épreuves.
« Dies in Beauty » (n° 10)
Jorn et Dotremont, soignant leur tuberculose respective au sanatorium de Silkeborg, abandonnent l'entière composition de ce dernier numéro à Pierre Alechinsky, déjà expérimenté en tant que rédacteur pour la Belgique durant une courte période.
Les pages centrales de couleur orange contiennent le catalogue de la « IIe exposition internationale d'art expérimental » tenue à Liège (6 octobre - 6 novembre 1951) et qui présente un plus grand nombre d'œuvres que la première exposition CoBrA deux ans plutôt à Amsterdam.
Ce dixième numéro, tiré à 2 000 exemplaires, contient quelques textes dont l'importance théorique est incontestable, à commencer par l'article d'Alechinsky « Abstraction faite » . Dans un court texte Dotremont retrace le chemin de CoBrA et résume ce que le mouvement lui a apporté.
Peu de temps après, en raison de multiples désaccords internes, s'en est finit de CoBrA, comme Alechinsky l’anticipe sur la quatrième de couverture : CoBrA « Dies in Beauty » (Mourir en beauté), ce que Dotremont considère alors comme leur dernier slogan.
Même s’il n’a duré officiellement que trois ans (1948 – 1951), CoBrA est l’un des plus importants mouvements d‘avant-garde de
l’après-guerre. Ses nouvelles idées artistiques, mais aussi politiques et littéraires ont influencé nombre de générations d’artistes et ouvert la voie à d’autres courants artistique tels que l’Internationale Lettriste (1953), puis le Situationnisme et Fluxus (1957).
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